ثقافة

La 59e édition du Festival international de Carthage

Pour la première fois en près de six décennies, le Festival International de Carthage (FIC) s’est tenu sans directeur. Une absence aussi symbolique qu’énigmatique qui cristallise les incertitudes d’un événement culturel emblématique, confronté à la complexité de son époque. Dans un contexte régional et mondial particulièrement tendu, cette 59ᵉ édition, qui marque le 61ᵉ anniversaire du festival, a semblé vouloir concilier continuité institutionnelle, engagement culturel et turbulences identitaires

Une direction invisible : symbole ou dysfonction

L’absence d’un directeur identifié à la tête du FIC n’est pas anodine. Elle marque une rupture avec la tradition d’une figure de proue, garante d’une ligne artistique cohérente et d’une vision curatoriale. Cette année, c’est un « comité d’organisation » non dévoilé qui prend les rênes du festival. Officiellement, il s’agit du même comité qui avait orchestré les trois dernières éditions, piloté par Hend Mokrani, directrice générale de l’Établissement national pour la promotion des festivals et des manifestations culturelles et artistiques (ENPFMCA). Mais ce flou autour de sa composition soulève de nombreuses questions sur la gouvernance culturelle en Tunisie, à l’heure où les institutions artistiques réclament plus de transparence, de dialogue et de participation

Dans une mise en scène chargée de symboles, la conférence de presse a été déplacée des villas romaines vers les jardins de l’amphithéâtre antique. Comme pour rappeler les racines millénaires du festival, tout en tentant de masquer les tensions modernes

Une programmation sous pression

Si la programmation promettait une ouverture sur la diversité et le dialogue interculturel, les faits montrent une réalité autrement plus tendue. À peine révélée, elle a subi des coupes brutales : retrait des affiches de deux spectacles, annulation de celui de Saint Levant, le jeune artiste palestinien-américain, et déprogrammation de la chanteuse française Hélène Ségara. Cette dernière a publiquement nié avoir prévu une participation, tandis que la direction du festival affirme disposer de documents attestant le contraire

Mais c’est surtout la question du soutien à la Palestine – ou perçue comme une absence de soutien – qui a cristallisé la polémique. Le festival, comme d’autres institutions tunisiennes, reste très sensible à la cause palestinienne. L’engagement ou les silences des artistes étrangers deviennent ainsi un véritable test de légitimité. Mokrani a confirmé que le spectacle de Ségara avait été déprogrammé en raison de la pression de l’opinion publique liée à son soutien à l’entité sioniste. Dans cette équation délicate, les réseaux sociaux sont devenus juges et parties, pesant fortement sur les décisions artistiques

L’arabité au cœur, mais l’Afrique absente

Avec 17 spectacles sur 20 issus du monde arabe, cette édition marque un recentrage clair sur l’arabité culturelle, avec une forte présence tunisienne et levantine (Liban, Palestine, Égypte). Le retour des grandes figures de la chanson populaire comme Nancy Ajram, Najwa Karam ou Ahlam côtoie des artistes plus audacieux comme le trompettiste Ibrahim Maalouf ou le compositeur Riad Fehri, qui signe ici sa septième participation avec Tapis Rouge 2

Mais une absence frappe : celle du continent africain. Le FIC, souvent perçu comme un carrefour afro-méditerranéen, n’accueille cette année aucun artiste africain hors monde arabe. La direction invoque un  manque de spectacles africains programmables

Financement et accessibilité : la tension permanente

Le budget du festival, estimé à trois millions de dinars, est jugé insuffisant par les organisateurs. Une partie de ce budget est censée être couverte par la billetterie et des partenariats privés. Mais là encore, les limites sont criantes : le FIC demeure dépendant d’un financement public fluctuant, sans stratégie claire de mécénat ni diversification de ses ressources

L’ouverture de la billetterie en ligne et en guichets marque un effort d’accessibilité, mais la programmation demeure, dans son ensemble, marquée par une logique de têtes d’affiche plutôt que par une véritable exploration artistique des marges et des formes émergentes

Né en 1964 sur les Thermes d’Antonin avant de s’ancrer dans l’amphithéâtre antique, le Festival de Carthage est plus qu’un simple rendez-vous estival. Il incarne une ambition culturelle nationale, une mémoire vivante. Cette 59ᵉ édition, malgré ses turbulences, conserve cette portée symbolique

Malek Chouchi

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