ثقافة
Aziz Jebali électrise la scène avec « Binomi S+1 » : quand le théâtre tunisien flirte avec la série et l’autofiction

C’est un objet théâtral non identifié, loin des formats habituels du paysage culturel tunisien. Avec « Binomi S+1 », Aziz Jebali brouille les frontières entre théâtre, série télévisée et performance comique, dans un format hybride audacieux qui ne cesse d’attirer les foules. Ce spectacle de 105 minutes, condensé des cinq épisodes les plus marquants d’une série scénique lancée en 2023, propose un divertissement intelligent, humain, et parfois douloureusement drôle.
Hamidou, personnage central en quête de réinvention
Au cœur de cette fresque sociale teintée d’ironie : Hamidou, né Hamed, mais décidé à se réinventer. Ce changement de prénom n’a rien d’anodin : il marque une volonté de rupture avec un héritage familial pesant, avec les normes rigides d’un quartier populaire de Tunis, et plus largement avec une société conservatrice où les codes de virilité, de réussite et de respectabilité s’imposent comme des carcans.
Hamidou rêve de devenir mannequin. Un projet perçu comme fantasque, voire menaçant, par son entourage, tant il défie les attentes genrées d’un jeune homme de son milieu. À travers cette trajectoire, le spectacle aborde avec justesse des thématiques telles que le conflit intergénérationnel, le poids des traditions, la pression sociale et l’hypocrisie des apparences, avec une acuité mordante et une tendresse désarmante.
Fresque collective portée par un casting éclatant
Dans « Binomi S+1 », Aziz Jebali ne joue pas en solo. Chaque épisode original accueillait une ou un invité·e de marque, et cette version condensée rassemble un casting d’exception : Vipa, Fatma Sfar, Mohamed Souissi, Abdelhamid Bouchnak, Jihed Cherni ou encore Najla Ben Abdallah, qui apportent chacun·e leur énergie, leur humour, et leur sensibilité.
Loin d’être de simples faire-valoir, ces personnages secondaires deviennent un chœur contemporain, un miroir multiple dans lequel se reflète la société tunisienne. Le public y retrouve des bribes de son quotidien, des figures reconnaissables, des situations à la fois cocasses et poignantes.
Ecriture fine, entre satire sociale et humour noir
Co-écrite par Aziz Jebali et Mohamed Saber Oueslati, la pièce séduit par son rythme vif et sa capacité à naviguer entre les registres. L’humour y devient une arme douce, un outil de dénonciation pour dire l’indicible et exposer les paradoxes d’une Tunisie en pleine mutation.
Le rire naît souvent du malaise : celui d’un fils rejeté pour avoir des rêves jugés inappropriés, d’une masculinité étouffante, ou encore d’un héritage familial incapable de réparer les blessures intimes. La force du spectacle réside dans cette capacité à rendre visible, sans pathos ni lourdeur, les tensions invisibles qui traversent notre société.
Théâtre en prise directe avec la jeunesse tunisienne
Avec « Binomi S+1 », Aziz Jebali capte à merveille un moment de bascule générationnelle. Hamidou, tiraillé entre fidélité familiale et besoin d’émancipation, incarne cette jeunesse tunisienne en quête de soi, qui refuse les injonctions et revendique le droit au rêve, au désir, à la différence.
Le théâtre devient ainsi un espace de libération, un lieu où les contradictions s’expriment, se vivent et se rient. En jouant avec les codes de la série, en brisant le quatrième mur, en intégrant des invités venus d’univers variés, Jebali transforme la scène en une expérience vivante, populaire et exigeante à la fois.
Réussite artistique et profondément humaine
Produit par MBK Productions & Aziz Jebali, « Binomi S+1 » n’est pas seulement un spectacle, c’est une vision artistique assumée, à la croisée des arts de la scène, de l’autofiction et de la comédie sociale. En puisant dans l’intime sans jamais tomber dans le narcissisme, Jebali prouve que les récits personnels peuvent toucher à l’universel, à condition d’être portés par une parole sincère et une mise en scène audacieuse.
En définitive, « Binomi S+1 » est bien plus qu’un « best of » : c’est une déclaration d’amour à la liberté de créer, au courage d’être soi, à la complexité des liens familiaux, et à la jeunesse tunisienne qui cherche à se dire autrement. Un théâtre qui fait rire, réfléchir, dérange… et surtout vibrer.