Le Festival International de Bou Makhlouf : Une 49ème édition au cœur de la culture tunisienne

À Kef, une ville aux traits paisibles et à la mémoire culturelle profonde, le Festival International de Bou Makhlouf renaît, renouant ainsi avec son public pour sa 49ème édition, qui se tiendra du 4 au 13 Août 2025, sous un slogan symbolique : ” L’héritage du passé, le pouls du présent “. Un slogan qui ne se contente pas d’être une simple accroche, mais qui exprime un cheminement culturel profond, marqué par des défis à la fois nationaux et régionaux. Cette nouvelle édition du festival se veut un défi artistique et organisationnel, d’autant plus face aux difficultés financières et logistiques actuelles, mais aussi une volonté affirmée de maintenir l’événement vivant et de renforcer son rayonnement culturel
Résilience face aux défis financiers et logistiques
Le contexte économique du pays pèse lourdement sur les événements culturels. En dépit de l’absence de soutien institutionnel clair de la part des secteurs public et privé, l’équipe organisatrice du festival a su concevoir une programmation artistique riche et variée. Ce succès n’est pas qu’une simple question de gestion logistique, mais témoigne d’une relation profonde entre le festival et la population de la région. Le festival est bien plus qu’un simple événement : il devient un espace d’expression et de partage, un lieu de vie culturelle pour les habitants du Kef
Hassina Darraji, la directrice du festival, a précisé lors de la conférence de presse du Samedi 26 Juillet 2025, tenue au site archéologique de la Kasbah de Kef, que le véritable enjeu aujourd’hui ne réside pas seulement dans la programmation des spectacles, mais dans la nécessité de récréer la confiance entre le monde de la culture et le public. Selon elle, la culture ne prospère qu’en présence d’un public actif et engagé. Un spectacle, même de grande qualité, perd une part de son essence si le public n’y est pas réceptif
Programmation diversifiée, malgré des moyens limités
La 49ème édition se distingue par sa programmation variée, mêlant théâtre, musique, danses du monde et performances internationales. Parmi les propositions les plus marquantes figurent des spectacles gratuits en dehors du cadre officiel, destinés principalement aux enfants et aux passionnés des charms de Bou Makhlouf, organisés sur la place municipale de la ville. La programmation, bien qu’ayant un budget limité, s’efforce de conserver un équilibre entre ambitions artistiques et réalités économiques
Karim Manaï, directeur technique du festival, a souligné que l’équipe organisatrice a réussi à maintenir l’intégrité culturelle du festival, et à proposer une image fidèle de la région à travers une programmation pensée pour célébrer l’identité locale. Ce choix stratégique a permis de se passer des grosses productions internationales souvent privilégiées par d’autres événements, privilégiant des alternatives locales et internationales plus adaptées à la réalité de la région, aussi bien sur le plan financier que culturel
Ouverture sur le passé : Kef chante Saliha
Parmi les événements phares, l’ouverture du festival sera marquée par un hommage à la légendaire chanteuse tunisienne Saliha, à travers le spectacle “Kef chante Saliha”. Un groupe d’artistes locaux, notamment des jeunes talents du Kef, rendra hommage à cette figure emblématique de la musique tunisienne. Ce choix n’est pas qu’une simple célébration du passé, mais une affirmation culturelle qui inscrit Saliha comme une icône incontournable de l’identité musicale tunisienne, toujours vivante dans le cœur des habitants de la région
Cet hommage est aussi un moyen de renforcer les liens entre mémoire et public, en réaffirmant l’importance de la culture régionale dans l’histoire collective du pays
Théâtre régional comme alternative au centre
Le festival de cette année inclut également des initiatives théâtrales marquantes, comme la participation du Centre National des Arts Dramatiques et Scéniques de Kef, avec la pièce “Sous pression” du metteur en scène Rayen Karoui. Ce travail dramatique a su franchir les frontières régionales pour se produire à l’international, prouvant ainsi que le théâtre local n’est pas une simple alternative à la scène nationale, mais qu’il possède ses propres spécificités et parfois même une vision qui va au-delà de celle des centres urbains
Cette vision de la décentralisation culturelle se retrouve également dans les autres spectacles internationaux du festival, comme les concerts en provenance de Corée et d’Inde, qui témoignent de l’ouverture du festival sur l’extérieur et de son ambition de créer des ponts culturels à travers le monde
Gestion exemplaire : éviter l’héritage de la dette
Un des éléments les plus remarquables de cette édition est la gestion financière de l’édition précédente. Le festival a réussi à boucler sa 48ème édition sans dettes, un exploit dans un pays où de nombreux festivals se retrouvent confrontés à des difficultés financières lourdes. Cette gestion rigoureuse prouve qu’il est possible de réussir un événement culturel en s’appuyant sur la transparence, la diversification des financements et une gestion rationnelle des dépenses
L’édition précédente a également permis un succès important en termes de ventes de billets, ce qui a incité l’équipe organisatrice à renforcer l’utilisation de la plateforme numérique guichet.tn, facilitant ainsi l’achat de billets en ligne et évitant les longues files d’attente
Culture comme levier de développement régional
Au-delà du divertissement, le festival cherche à souligner la place de la culture comme levier de développement local. Walid Massoudi, délégué régional aux affaires culturelles, a annoncé le lancement d’un projet de théâtre en plein air, d’une capacité de plus de 3 000 spectateurs, situé à proximité du site archéologique de la Kasbah. Un projet d’envergure, dont le coût est estimé à 3,5 millions de dinars, et qui devrait renforcer le potentiel culturel de la ville
En appelant à un soutien collectif de la part des acteurs économiques et culturels locaux, l’équipe du festival souhaite ancrer définitivement le Festival de Bou Makhlouf comme une manifestation annuelle incontournable qui redonne à Kef sa place centrale dans le paysage culturel tunisien, et qui donne un nouveau souffle à la culture décentralisée
Cette édition se veut plus qu’un simple événement festif. Il s’affirme comme un symbole de résilience culturelle dans une région marquée par des défis économiques, et comme un levier de développement pour la région du Kef
Entre hommage aux traditions et ouverture sur le monde, il continue à œuvrer pour une culture vivante, connectée et accessible, tout en restant fidèle à son public et à son identité
Malek Chouchi